"La première fois que j’ai pris l’avion dans ma vie, c’était pour la finale de la Coupe de l’UEFA de l’OM à Göteborg face à Valence en 2004. J’avais 18 ans. J’ai même raté mes examens de fin d’études pour aller voir la finale. Un jour, j’ai vu que l’UEFA ouvrait la billetterie pour la finale. J’ai tenté ma chance. Ma demande a été acceptée ! J’y suis allé avec ma maman, qui ne s’intéresse pas du tout au football mais elle a dépensé beaucoup d’argent pour réaliser mon rêve de voir une finale européenne. C’était peut-être mon destin.

 

Je suis souvent venu à Marseille quand j’étais recruteur. C’est une ville de football comme Montevideo et Buenos Aires que j’aime toutes deux beaucoup. Quand tu es sur la corniche à Marseille, tu as l’impression d’être dans les Ramblas de Montevideo. Je vis dans une ville dont je partage beaucoup de valeurs dont la simplicité. Je ne suis pas quelqu’un de sophistiqué. J’apprécie la manière dont j’échange avec les gens ici. On partage cette vision de la vie et cette manière, par tradition, de surmonter les problèmes.

 

Je viens des Asturies, au nord de l’Espagne. Nous avons un sentiment important d’appartenance à la région, comme à Marseille. Nous avons une culture du travail très forte surtout grâce à l’héritage minier de la région. Nous étions tous très fortement liés, familialement, à la mine et à l’industrie sidérurgique. Ce qui crée en nous un sens important du travail et du sacrifice.

 

Les valeurs qu’on m’a transmises et mon éducation à la maison ont été de chercher l’excellence. Mon père m’a dit quand j’étais enfant que mon travail était d’étudier et de rendre fiers mes parents à l’école. C’est pour cela que je n’ai jamais voulu les décevoir car avec tous les sacrifices qu’ils faisaient pour moi, je sentais que je devais leur rendre quelque chose.

 

Je jouais au football tous les jours quand j’étais petit. J’aimais le Milan de Sacchi. J’admirais Dejan Savicevic. Ce n’était pas une superstar : c'était un joueur moins dans la lumière mais qui parvenait à faire la différence. Je supportais aussi le Sporting Gijon.

 

À 12 ans, je me suis dit que j’entrerai dans l’organigramme d’un club de football. C’était mon unique objectif . Je rêvais de cela. La vie m’a offert des opportunités que je n’aurais jamais imaginé avoir. Ce qui m’est arrivé est un rêve."

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MON RÊVE D'ENFANT

"Tout ce que j’ai fait dans ma vie était orienté vers ce rêve. Enfant puis adolescent, j’avais des cahiers et des classeurs : j’écrivais à l’époque  les formations de toutes les équipes en Europe. Quand j’étais petit j’aimais beaucoup écrire sur ces thèmes. J’ai gardé tout cela chez ma mère.

 

Ma mère a fait tous les sacrifices du monde. Notre situation économique dans la famille était modeste. Toutes les semaines, elle achetait 20 cassettes vierges pour enregistrer des matchs. En Espagne, nous avions la chance d’avoir un opérateur qui diffusait toutes les rencontres, de tous les pays. Je passais tous mes après-midis et même des nuits à regarder du football. J’ai commencé à regarder les matchs pour connaître tous les joueurs et analyser tous les championnats. A 12-14 ans, j’ai commencé à organiser ma vie en fonction des matchs qui passaient à la télé. Je venais d’avoir une blessure importante. J’ai compris à ce moment-là que je ne pourrais pas être professionnel. J’avais un site web que j’ai créé à 12 ans. J’analysais les joueurs. J’écrivais des rapports sur les joueurs en Europe, les jeunes. Je cherchais à anticiper les joueurs de 16 ou 17 ans qui allaient devenir des joueurs importants ensuite.

 

À 16 ans, j’ai écrit une lettre à tous les clubs européens pour proposer mes services. Trois clubs m’ont répondu. Le PSV d’abord pour me remercier, pour mon courage et pour les rapports que je leur ai envoyés. La personne qui m’a répondu au PSV, je l’ai revu à la Coupe d’Afrique des nations 2004. Je me suis présenté et je l’ai remercié. Le Bayer Leverkusen m’a aussi répondu, tout comme Newcastle. Newcastle m’avait envoyé un rapport-type et m’avait indiqué comment on devait rédiger ces rapports. A l’époque, cela m’avait donné beaucoup de confiance.

 

J’ai eu mon Bac. J’aime les sciences sociales et l’histoire-géographie. Je voulais faire des études de journalisme mais il n’y avait pas d’université dans ma région. Je ne pouvais pas aller à Madrid : ma famille n’en n’avait pas les moyens. J’ai donc étudié le droit, mais cela n’a pas été une réussite."

Pablo Longoria
MES PREMIÈRES EXPÉRIENCES

"Un jour le chief scout de Newcastle est venu à Madrid pour regarder un match de qualification d’Europa League. J’avais passé la journée avec lui. Je lui ai peut-être dit quelque chose d’intéressant ce jour-là. Je lui ai envoyé un message le lendemain pour le remercier d’avoir passé cette journée avec moi. Il m’a répondu qu’il souhaitait me voir à Newcastle pour discuter avec moi. Là-bas, il m’a proposé un contrat. J’avais 20 ans.

 

J’ai commencé ensuite à travailler avec un agent qui vendait un service de scouting externalisé à des clubs comme Huelva et Santander. A Huelva, j’ai rencontré Marcelino. Il m’a appris à analyser le football. J’étais un jeune sans aucune formation dans le football. Pour moi, échanger avec un entraîneur du niveau de Marcelino Ã©tait génial. Je lui demandais tous les jours comment analyser un joueur. On le faisait ensemble. Il m’établissait les qualités qu’il regardait chez un joueur. J’absorbais des connaissances fortes. J’avais cette chance d’échanger tous les jours avec un coach qui entraînait en Liga. Je ne le remercierais jamais assez de m'avoir tant apporté durant ma formation.

 

Tout ce que l’on fait doit l’être avec confiance. Cette confiance se mérite aussi. Ce n’était pas simple de donner sa chance à un jeune de 20 ans. Je savais ce que cela signifiait. J’ai souvent été le plus jeune en Europe pendant beaucoup d’années dans le monde du scouting.

 

Je n’ai jamais été intimidé. J’étais sûr de mes compétences et qu’avec une formation, je pourrais y arriver. Cette confiance en moi, mon jeune âge, ma première expérience à Huelva, tout cela m’a donné une perspective très éloignée de la réalité. Je crois que tomber en deuxième division à Huelva en 2009 a été un choc pour moi. J’ai connu la déception. Rater la remontée ensuite, cela a aussi été une très grande défaite personnelle. Ces deux événements consécutifs m'ont fait réfléchir et décider qu'il était important pour moi de quitter l’Espagne pour me reconstruire."

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MON DÉPART EN ITALIE

"Beppe Corti m’a donné l’opportunité de travailler en Italie. Il était directeur de recrutement à l’Atalanta et il m’a nommé scout. C’était un rêve de travailler en Italie mais je ne parlais pas italien quand je suis arrivé. J’ai beaucoup travaillé pour rattraper mon retard. Je voulais apprendre la langue. Je lisais des livres en italien, même si je ne comprenais pas tout ce qui était écrit. J'ai mis en langue italienne tous mes appareils : ordinateur, téléphone, GPS de voiture. Tout autour de moi était en italien. En six mois, je parlais et comprenais la langue.

 

Les échecs dans la vie sont importants. Nous en avons tous. Quand j’ai quitté l’Atalanta pour Sassuolo, j’avais 27 ans, j’étais devenu responsable du recrutement à Sassuolo. Cela m’a fait changer beaucoup de choses et de principes dans ma vie. J’ai compris qu’il y avait beaucoup de choses à changer chez moi. J’avais de grandes responsabilités. Je me suis posé beaucoup de questions. L’une des réponses a été de commencer à voyager dans toute l’Europe pour comprendre les différentes cultures du football, pour essayer de prendre le meilleur de chaque football. Je devais me reconstruire personnellement et remettre en cause toutes les certitudes que j’avais sur le moment.

Après Sassuolo, j’ai connu la Juventus et Javier Ribalta au sein du club. Il m’a ouvert toutes les portes. Ce n’est pas un ami, c’est le frère que je n’ai jamais eu. Je prenais du plaisir à travailler tous les jours pendant deux ans avec mon meilleur ami. C’était extraordinaire.

 

Javier et moi sommes très différents. Lui est plus sensible et c’est la personne la plus talentueuse que je connaisse dans la recherche de joueurs. Il a l’esprit vif. Moi, j’ai besoin d’arriver à mes conclusions en analysant. A la Juve, on cherchait un arrière-gauche et on comparait Alex Sandro à un autre joueur. J’ai mis dix minutes à réciter mon argumentaire. Javier, lui, a dit simplement « on doit prendre Alex Sandro, parce qu’il est meilleur que l’autre Â». J’analysais tout. J’en étais même malade. Rencontrer Javier qui a une mentalité différente de la mienne, m’a aussi aidé à avoir cette sensibilité dans les petits détails qu’avant je n’avais pas.

 

C’est très Juventus mais je crois en la règle sévère. Il y a des règles qui sont sacrées dans le football. Je crois que nous devons revenir à un football avec des codes et du respect. Il faut des règles très fortes, et très concrètes. Il ne faut ni anarchie, ni liberté dans la gestion d’un groupe sportif. A la Juventus, tu savais que si tu sortais de ta position, tu étais mort. Mais si tu n’étais pas capable de te faire respecter, tu étais stupide. Faire respecter le club est fondamental. Je suis le représentant du club au quotidien. Il faut créer une institution forte respectée par les salariés, les joueurs, et tout le monde. Il faut donner la sensation qu’il y a une institution au-dessus du tout."

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MES IDÉES

"Cela devait être choquant que je sois espagnol et le responsable du scouting de Sassuolo à 27 ans. C’était pareil à la Juventus où j’ai pris des responsabilités dans un club d’une telle dimension. Je devais donner des signaux positifs à la personne qui a décidé de me mettre en place. Je devais confirmer le bon choix de la personne qui l’a fait, car c’était une décision, évidemment, risquée.

 

Ce que j’aime le plus dans le football tient en quelques valeurs : l’ordre, l’exigence, la rigueur, la culture du travail. Je ne relativise aussi jamais la défaite. Je n’aime pas perdre. J’ai honte de moi-même, je peux me sentir mal et ne pas dormir pendant un ou deux jours. J’essaye d’éviter cette sensation. Quand on gagne un match, il y a du positif, la sensation du travail bien fait. Perdre est la pire chose que tu peux faire. C’est une situation où tu ne peux jamais être content. Tu ne dois jamais l’accepter. Il n’y a que les défaites que je revisionne à nouveau. J’analyse le match. J’aimerais inculquer ce rejet de la défaite au sein du club, oui. Une défaite, c’est mauvais pour le joueur, le coach, pour l’effectif. On doit tous travailler pour gagner.

 

La veille des matchs, je ne dors pas. Je regarde des matchs sud-américains. Je peux dormir 2 à 3h. Il y a beaucoup de tension. Cette adrénaline, cette manière d’imaginer les matchs, penser aux conséquences, ce que va faire l’équipe : je sens cette responsabilité, cette pression du résultat. Ce sont des journées compliquées. Je suis dans une tension forte. C’est très italien. Je suis trop tendu et ce n’est pas bon. Mais ce sont des journées productives : je regarde des matchs ou j’analyse des joueurs. C’est comme une drogue. J’ai fait une année sabbatique -entre Valence et Marseille- à jouer au golf tous les jours, cette adrénaline, cette tension, c’est ce qui me manquait le plus."

"Les clubs de football ont un cœur"

 

Pablo Longoria OM

 

"Le potentiel de l’OM est très important. Nous sommes un pilier social de la ville. Les premières semaines après avoir été nommé président, j’étais en pilote automatique. Puis il est arrivé une période de réflexion. Je réfléchis à comment optimiser les ressources que j’ai à disposition. Je suis une personne publique. Cela donne beaucoup de responsabilités et d’attentes mais je ne changerai pas mon comportement au quotidien. Je crois que le football est en évolution constante et la chose la plus importante est d’anticiper les cycles. Les clubs qui ont réussi sont ceux qui ont établi un projet pérenne avec une identité solide.

 

J’ai connu beaucoup de clubs et j’ai compris que chaque club est très différent. Les idées mises en place dans l’un sont inadaptées dans un autre. Je ne pouvais pas faire ce que je faisais à la Juve à Valence, où j’étais directeur sportif. Il faut essayer de comprendre l’histoire et l’identité. Les clubs de football ont un cÅ“ur. Il y a un sentiment qui se transmet de père en fils ou fille. Ce petit truc qui fait que tu es ou non supporter d’un club de football et de ses valeurs. Tu dois les comprendre pour être dirigeant.
Tu ne peux pas créer de projet sans identité. Tu peux avoir des résultats à court terme mais pour construire un projet, surtout dans un club passionnel, tu dois être dans les valeurs historiques du club. Je considère que c’est important de donner une identité à l’ensemble du club et que les supporters sentent qu’ils sont dans ce projet.

 

C’est un défi personnel. Je n’aurais jamais imaginé ça quand j’ai commencé à être recruteur. J’ai travaillé. Je m’inspire beaucoup de Mateu Alemany, de ce que j’ai appris à ses côtés. C’est le plus grand dirigeant du football en Europe. J’ai vécu avec lui deux saisons à Valence : tous les jours, c’était une masterclass pour comprendre la profession.
J’aurais réussi, si je parviens à créer une identité, que nous soyons fiers des actions que nous faisons en tant que club, mais évidemment si nous obtenons des résultats. Ma devise personnelle -celle que je dirais à ce petit garçon de 12 ans s’il était en face de moi-, serait comme on dit en Espagne : Nunca dejes de creer. Littéralement : n’arrête jamais de croire."

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Pablo Longoria

Président du Directoire - Olympique de Marseille