Entretien avec Pablo Longoria
Son parcours, sa méthode
Racontez-nous votre parcours professionnel ?
C’est long ! J’ai 34 ans mais j’ai un peu d’expérience. Depuis que j’ai 18 ans, je travaille dans le foot. J’ai été recruteur à l’Atalanta puis responsable de la cellule de recrutement de Sassuolo puis à la Juventus, qui était un rêve pour moi. Je suis ensuite retourné chez moi en Espagne en tant que directeur sportif de Valence et maintenant l’OM. Je suis très fier d’être ici.
Pouvez-vous nous décrire en quelques mots votre façon de travailler, votre personnalité ?
Particulière… À la Juventus, on a développé, grâce à mes expériences successives, une très bonne méthodologie pour le scouting. À Valence, il y avait une méthodologie de travail moderne basée sur le scouting et sur la gestion. J’aime beaucoup la gestion de ce club, que tout soit bien aligné à l’intérieur d’un club.
Vous êtes jeunes, vous avez déjà fait plusieurs clubs, comptez-vous vous s’inscrire dans la durée à Marseille ?
Quand je suis venu à Marseille, j’ai dit une chose importante. Je veux faire un projet à long terme. J’ai choisi Marseille car je pense que l’on peut développer ensemble un projet sur le long terme. C’est très important pour moi, j’espère durer ici et avoir les résultats afin de pouvoir rester ici longtemps.
Vous avez une trajectoire fulgurante. Recruteur à Newcastle puis de l’Atalanta, directeur du recrutement de Huelva, Sassuolo et de la Juventus avant de devenir directeur sportif de Valencia… Que retenez-vous de ces expériences ?
J’ai voulu avoir des expériences européennes. J’ai travaillé en Angleterre, en Italie, en Espagne et finalement en France. C’est important de comprendre les différentes mentalités. Quand j’ai commencé dans le foot, il était important d’apprendre chaque culture footballistique. Il faut prendre le meilleur de chaque pays en Europe. Pour moi, vivre dans ces pays et comprendre chaque mentalité est fondamental. C’est très important pour mon parcours et mon épanouissement.
Espagne, Angleterre, Italie et maintenant France, vous avez une large connaissance du football européen, de ses codes…
Les codes et la manière de faire dans le football sont différents en Espagne, en Italie ou en Angleterre. Dans un même pays, c’est différent entre les clubs. Sassuolo est différent de la Juventus et la Juventus est différente de l’Atalanta. C’est important de s’adapter à tous les clubs, de s’adapter à la mentalité marseillaise et de m’imprégner de la culture marseillaise, du club et de la ville. Chaque club est différent. Durant les premiers mois ici, j’ai appris beaucoup du club, de la ville, des supporters. Je cherche à m’adapter à la mentalité du club car je souhaite faire une football ad hoc à Marseille.
Est-il vrai que vous travaillez beaucoup avec la data ?
Selon moi, le football, c’est le bilan. Dans le recrutement, il y a le recrutement classique, je viens d’une école classique de recrutement, j’ai été scout pendant dix ans mais nous sommes en 2020, il y a des statistiques, des logiciels. Ici, à l’OM, il y a des datas et des statistiques qui vont être très importantes et elles vont être intégrées dans le processus classique de recrutement. Mais cela ne sert pas uniquement pour le recrutement et la sélection d’un joueur, c’est important au quotidien dans la vie d’un club de football.
Qu’est-ce qui vous a convaincu de relever ce challenge ?
C’est une question intéressante. C’est la passion. C’est le mot-clé de ma venue à Marseille. J’aime travailler dans les clubs historiques, où il y a de la passion, où tu peux rentrer dans la mentalité du club. Le football est fait pour les supporters. Venir dans un club comme l’OM, avec son histoire, ses supporters, son stade, était un choix fondamental pour moi. Du moment que l’OM est venu me chercher, l’OM est devenu une priorité. Je voulais vivre un challenge comme l’OM surtout par rapport à la pression et la passion des supporters. La connexion ville-club est très importante ici.
Vous connaissiez André Villas-Boas avant de venir à l’OM. Avez-vous échangé avant de rejoindre Marseille ?
André l’a dit dans une conférence de presse en Autriche avant ma venue ici. Dans ma première expérience au Recreativo Huelva, André Villas-Boas était mon premier choix d’entraîneur. Il y a une connexion spéciale entre nous. On n’a pas beaucoup échangé durant les dernières années mais une relation de respect s’est créée dans le temps, également avec son entourage. Une bonne relation a toujours existé, j’ai toujours demandé comment cela se passait dans la carrière d’André car, pour moi, il fallait suivre le parcours d’un jeune entraîneur qui a fait une carrière spectaculaire.
On vous présente comme quelqu’un de méthodique. Je crois savoir que vous avez étudié profondément le club avant de venir ?
Oui naturellement. Je suis très méthodique, c’est le mot juste. Je devais comprendre les mécanismes, j’ai vu tous les matchs de la saison 2019-2020. J’ai pris toutes les informations possibles sur le club pour m’adapter à l’équipe et au coach.
Vous êtes aussi très porté sur la data. En quoi cela consiste au quotidien dans votre travail ? Quelle est votre méthode ?
Chaque jour est complétement différent. Pendant le mercato, le travail est basé sur la gestion être présent avec le groupe, avec le coach. Il faut être très présent sur le mercato mais également pour la liaison avec le business. C’est très important pour le projet global du club, il y a des ambitions sportives et aussi un aspect économique et institutionnel. Un jour normal, je suis avec l’équipe, je regarde des matchs, je téléphone, je parle avec Hugues Ouvrard (directeur général en charge du Business) pour faire la liaison avec le business, je parle aussi beaucoup avec le président, Jacques-Henri Eyraud.
C’est vrai que vous regardez plusieurs dizaines de matchs par semaine ?
C’était une autre période de ma vie (rires). Je cherche toujours la possibilité de regarder des matchs. Je suis un vrai passionné de football. Quand je rentre chez moi après une journée de travail ici, je regarde deux ou trois matchs pendant la nuit, je dors peu. Je regarde aussi en voyage, à l’hôtel, quand je suis avec l’équipe, je peux regarder dix matchs dans un week-end. C’est plus facile de regarder les championnats sud-américains aujourd’hui. Il y a toujours, à l’intérieur de moi, un recruteur, quelqu’un qui veut chercher les talents dans le monde.
Ses missions à l'OM
Expliquez-nous la phase 2 du projet OM ?
On peut parler de la phase 2 comme un projet à long terme. On a des objectifs pour le futur. Il faut faire grandir le club et le stabiliser dans le top 20 des clubs européens. C’est une position naturelle que l’OM peut atteindre dans le futur. On souhaite aussi avoir une cellule de recrutement très forte car le futur des clubs européens est basé sur un scouting très fort. C’est un projet à long terme où les datas et les statistiques auront une importance capitale comme la performance sportive. Il faut créer un équilibre entre les joueurs d’expérience qui peuvent jouer avec de la pression et des jeunes joueurs qui vont prendre de la valeur grâce à la performance sportive.
Que représentait l’OM pour vous avant de rejoindre le club ?
C’est particulier pour moi… Je suis un sentimental dans le football. J’ai beaucoup voyagé quand j’étais recruteur mais, mon premier voyage, c’était en 2004 à Göteborg pour la finale d’Europa League. Travailler à Valence et à l’OM, c’est symbolique pour moi, il y a quelque chose de magique dans ce choix. C’était la première fois que je prenais l’avion, j’ai vécu ce match en tant que supporter. J’ai vu, ce soir-là, qu’il y avait quelque chose de spécial chez les supporters marseillais.
Ce n’est pas un bon souvenir pour nous…
Pour moi, c’est un symbole de voir l’OM jouer une finale européenne. J’ai depuis un bon feeling avec ce club.
Vous connaissez donc bien l’histoire du club, ses anciens joueurs…
Oui naturellement, l’OM est un club historique qui a écrit l’histoire du foot avec la victoire en Coupe d’Europe 1993 et onze titres de champion. C’est très important de savoir qu’il y a une histoire. Un club doit être respecté pour son histoire. L’OM a fait l’histoire du foot français, c’est un club historique. On a une responsabilité avec les supporters, les anciens joueurs, les légendes du club. C’est important d’être proche d’eux car ils ont une mission unique qui est de transmettre l’histoire et les valeurs du club. La mentalité de gagnant est le symbole de l’histoire de l’OM.
Connaissez-vous la ferveur de l’OM ? L’ambiance au stade ? Avez-vous hâte de la vivre ?
Oui bien sûr, j’ai envie de vivre un jour de match avec un stade plein, sentir quand les supporters sont proches de l’équipe. Le groupe a envie de sentir les supporters avec lui le plus vite possible.
La Formation
Pourquoi avoir choisi de nommer David Friio au poste de responsable de la cellule de recrutement ?
Je crois qu’en France, c’est un des meilleurs scouting managers. J’ai connu David quand j’étais recruteur, j’ai toujours eu de bons rapports avec lui. Il a une très bonne connaissance du football français et européen mais aussi des jeunes avec son expérience à Manchester United. C’était très important de le recruter car le scouting va être un pilier essentiel pour le futur du club.
La formation est l’un des piliers du club. Quelles sont les idées que vous souhaitez mettre en place ?
La formation doit être un pilier fondamental pour le club dans la phase 2. On a parlé du scouting, des datas mais le centre de formation doit être essentiel. On doit rendre à la ville ce qu’elle nous donne. Il faut bien travailler sur les joueurs marseillais et faire un travail très fort avec la jeunesse marseillaise. Il faut également faire que l’OM soit un club très solide sur la sélection des talents en France et commencer à positionner le club à un niveau important sur la sélection des talents à l’international. Il faut renforcer la méthodologie, comment on travaille avec nos entraîneurs, les processus au niveau collectif dans une gestion quotidienne de ressources très importante basée sur l’éducation. L’éducation des sportifs est une question très importante. J’étais très content de voir, quand je suis arrivé ici, que tous nos jeunes ont réussi le Baccalauréat.
Les passerelles entre la formation et le groupe pro doivent-elles s’accroître ?
Pourquoi s’agrandir ? Cela dépend des joueurs… Si un joueur est prêt, il doit être dans l’équipe première mais on ne doit pas faire des liens artificiels. C’est quelque chose qui doit être bien compris avec la formation. Si on se donne des obligations d’intégrer des joueurs du centre dans l’équipe première, cela ne sera pas bénéfique même pour le joueur. Mais il ne faut pas augmenter la distance entre les deux car ce n’est pas dans l’ADN de l’OM car le club doit beaucoup travailler sur la formation de ses joueurs.
Quel regard portez-vous sur la formation olympienne ?
J’ai vu tous les matchs de la National 2, des U19, j’ai vu toutes les équipes en action. Je veux être proche des équipes du centre de formation. À Valence, je regardais tous les matchs des équipes de 14, 15, 16 ans. Les jeunes joueurs doivent avoir la sensation que le club et l’équipe première sont avec eux. C’est fondamental. Je dois bien connaître la formation et travailler quotidiennement avec Nasser Larguet (directeur du centre de formation). C’est un grand professionnel de la formation, renommé sur le plan international.
Quels sont vos relations avec Nasser Larguet ?
Elles sont fantastiques ! Nous avons de très bonnes relations car il y a beaucoup de respect entre nous. Nasser a fait un travail fantastique au niveau du football en France et même aussi au Maroc.
Avec OM Next Generation, l’OM a tissé un réseau avec les clubs de Marseille et de sa région. Comptez-vous vous appuyer dessus ? Le développez ?
La formation est basée sur les joueurs marseillais, donc bien travailler avec eux est fondamental. Parvenir à des résultats avec OM Next Generation dans le futur doit être essentiel. On doit être, dans la formation, l’équipe des Marseillais. Il faut que tous les meilleurs joueurs de Marseille aient la possibilité de venir ici. C’est un objectif fondamental de la formation.
Comment attirer les talents plus ou moins jeunes de la région à l’OM ?
Avec la crédibilité dans le projet ! Je crois que les gens et surtout les jeunes doivent voir qu’il y a quelque chose de sérieux ici. C’est essentiel. On va travailler pour créer quelque chose de sérieux dans la formation à l’OM.
Les U19 vont retrouver la Youth League cette saison. C’est une étape importante pour eux et une vitrine pour l’Europe...
C’est beaucoup de visibilité pour les jeunes. Jouer à un niveau international est fondamental. Quand tu arrives à l’âge de 15 ans, il est important de jouer à un niveau international. Il va falloir organiser beaucoup de matchs internationaux et même pour nos joueurs de découvrir d’autres cultures. La Youth League est importante pour la visibilité, la compétitivité à un niveau européen. Cela sert aussi pour échanger avec des clubs étrangers. C’est aussi une question d’éducation, c’est un temps pour échanger entre joueurs, dirigeants et entraîneurs des autres équipes. C’est enrichissant culturellement.
Le groupe professionnel
Revenons sur l’équipe première et vos missions… Quelle va être votre feuille de route ?
Je suis dans une position particulière. Normalement tu arrives dans un projet de reconstruction. Ici, à l’OM, j’ai un très bon groupe. J’ai apprécié, dès mon arrivée, la qualité humaine et sportive du groupe à disposition. Nous avons un coach très proche du groupe. C’est une sensation très forte, il y a une connexion très forte dans le groupe. Quand cela existe dans un groupe, tu dois donner de la continuité. C’est fondamental dans ma feuille de route. Dans le futur, il y aura des changements, c’est normal dans le football, mais il faudra donner de la continuité dans les connexions au sein du groupe.
Travaillez-vous quotidiennement avec André Villas-Boas ?
Notre relation est extraordinaire. Je dois le remercier pour l’accueil qu’il m’a fait. On a créé une relation de confiance quotidienne. Je lui parle plus qu’à ma femme (rires). Je suis très content d’avoir la possibilité de travailler avec un coach qui le talent d’André.
Avez-vous rencontré les joueurs un par un ?
J’ai parlé avec le groupe dès mon premier jour. Ce n’est pas ma fonction de parler individuellement avec les joueurs. Je suis le club, je ne suis pas celui qui doit faire la gestion individuelle des joueurs car il est fondamental de respecter le champ d’activité du coach.
Quel est votre avis sur le groupe ?
C’est un groupe humain très humain avec une connexion spéciale entre eux et avec le coach.
Vous avez dit que vous vouliez vous inscrire dans la durée. Quels sont vos objectifs dans les grandes lignes ?
Avoir de l’exigence, avoir un grand niveau d’exigence à l’intérieur du club. C’est le niveau d’exigence que je mets à moi-même tous les jours. Je voudrais renforcer la culture du travail dans le club tout en ayant de l’ambition. On peut toujours tout améliorer, il ne faut pas se contenter de ce que l’on a au quotidien. Il faut avoir tous les jours l’ambition de faire mieux et donner à toutes les personnes au club cette ambition et cette façon de peser qu’il y a quelque chose que je peux faire pour m’améliorer.
Vidéo, scouting, datas, recrutement… Quels sont les axes de développement du secteur sportif de l’OM ?
Il y a trois points :
La formation. On en a déjà parlé.
L’identité. Il faut donner au club l’identité marseillaise. Je ne dis pas qu’il n’y a pas d’identité marseillais à l’OM actuellement mais il faut la renforcer. Avoir notre propre identité qui va passer d’un joueur à l’autre, c’est pourquoi il est fondamental d’avoir des joueurs d’expérience comme Steve Mandanda ou Dimitri Payet. Ils vont donner de la continuité aux joueurs qui arriveront. Il y aura une identité OM dans le groupe et la transmission des valeurs du club est essentielle.
Rêver. Il faut rêver avec de jeunes joueurs, de l’investissement. Il faut faire des choses différentes, à notre manière, créer un style OM et être bien identifié dans le panorama européen comme un club qui a une identité. Il faut être reconnu en Europe comme un club qui fait les choses à sa manière.
Le mercato
Quels sont vos objectifs principaux pour ce mercato ?
Il faut donner de la continuité à l’effectif. Avec les trois recrutements, on a amélioré la qualité de l’effectif. On verra dans les trois dernières semaines si on trouve la manière de renforcer l’effectif pour le rendre plus compétitif dans ce mercato très particulier.
Combien de ventes le club doit-il réaliser pour satisfaire les instances du football ? Pour quel montant ?
Il n’y a pas un montant de ventes parce que tu peux arriver au bilan final avec un bon business, c’est pour ça que la connexion entre le sportif et le business est fondamental, avec de bons résultats sportifs et avec le trading de joueurs. Mais on n’a pas un montant minimum à réaliser. L’OM n’est pas un club qui doit vendre tous les ans pour faire des résultats. On vendra si le bon prix arrive pour un joueur et si la situation est convenable.
La recherche de l’attaquant est une priorité pour le coach, allez-vous avoir un peu plus la main sur le choix de cette personne ?
On travaille tous les jours pour trouver, ensemble, des solutions. La connexion entre le côté sportif et la prise de décision est fondamentale. On n’a pas de pression car on veut attendre l’opportunité de consensus. Pour moi, le consensus avec le coach est essentiel. On doit trouver le joueur que l’on apprécie à des niveaux sportif et économique pour renforcer le club. Si cela arrive, On saisira l’opportunité mais pas en prenant le premier joueur qui passe. Si on ne trouve pas le joueur opportun, ce n’est pas une nécessité vitale de faire un attaquant.